Points faibles

Jusqu'ici, dans toutes nos combinaisons il était immédiatement possible de mettre une pièce en prise, le problème étant de mener le nettoyage à son terme ; le lecteur en a peut-être acquis la fausse impression que pour éviter toute catastrophe il suffisait de ne jamais permettre à l'adversaire de lancer un début de nettoyage en plaçant une pièce en prise.
Rien n'est moins vrai: nous allons maintenant voir des combinaisons impliquant des coups « tranquilles », c'est-à-dire des coups ne forçant pas l'adversaire à une prise, mais instaurant une menace imparable en attaquant un point faible. Une telle combinaison se base presque toujours sur au moins l'un des trois types de point faible que nous allons examiner, à savoir double contrôle, batterie et pièce immobile.

Le double contrôle

C'est le point faible le plus simple: lorsque l'adversaire contrôle une même case avec deux pièces (ou éventuellement plus), on peut menacer de s'y rendre. Cette menace est gagnante si on dispose d'un nettoyage sur chacune des deux prises possibles et que l'adversaire ne peut pas venir couvrir la case critique avec une troisième pièce.
On rencontre souvent cette combinaison en finale, comme dans l'exemple ci-dessous.
 
 
Les Blancs jouent et gagnent

1.Rc4! attaque la case d5. Les Noirs sont sans défense contre 2.Rd5 Rxd5 3.c4# ou 2...Cxd5 3.c3#; donner une de leur pièces sur d5 n'y change rien.
 
Un cas très fréquent est celui de la « liaison dangereuse ». Lorsque deux tours sont seules sur la dernière rangée, elles contrôlent doublement toutes les cases libres de cette rangée.
 

Les Blancs jouent et gagnent

S'il était laissé aux Noirs le temps de jouer par exemple a6 et Ta7, ils seraient assurés de pouvoir jouer la finale - sans grandes perspectives d'ailleurs. Toutefois les Blancs au trait gagnent de manière forcée en mettant le doigt là où ça fait mal: 1.e5!, menaçant 2.e6 dxe6 3.d5 exd5 4.c4 dxc4 5.b3 cxb3 6.Td1!, suivi de 7.T(x)d8. Il suit donc 1...d6 2.exd6, mais maintenant les Noirs ne peuvent plus rien contre l'avance du pion blanc. Après 3.d7 les Noirs pourront seulement choisir sur quelle colonne (c ,d ou e) ils vont commencer leur nettoyage.

Un autre double contrôle souvent fatal est celui du fou et du cavalier en a6 (h6, a3, h3).

 
Les Blancs jouent et gagnent

Dans cette position qui semble de prime abord sans danger pour les Noirs, les Blancs gagnent simplement par 1.Cb1! (ou 1.Cc2!) 1...Txa2 2.Txa2 avec la menace imparable 3.Ta6, les prises par le fou ou le cavalier étant toutes deux perdantes, par exemple 2...Rc6 3.Ta6 Cxa6 4.b4 Cxb4 5.Rd3 Cxd3 6.Fa3 Cxf2 7.g4 etc.

La batterie

On appelle batterie un couple de deux pièces de même couleur dont la première (pièce canon) est à longue marche, mais voit une de ses lignes obstruée par la deuxième (pièce écran). Cette situation est dangereuse car tout coup de la pièce écran ouvre une ligne de la pièce canon; si cela permet un nettoyage, le but de l'adversaire est alors de forcer la pièce écran à jouer.
 
Les Blancs jouent et gagnent

La manière la plus simple de forcer la pièce écran à jouer est de la menacer avec un pion. Ici la batterie formée par le Fc8 et le Cd7 peut être actionnée par 1.c4!, menaçant un nettoyage par le cavalier ou le fou: 2.c5 Cxc5 3.e4 Cxe4 4.Rc2 Cxf2 5.h4 Cxh1 6.Cg3 Cxg3 7.h5 Cxh5 8.Ff4 ou 2.c5 Cxc5 3.g4 Fxg4 4.Rc2 Fxe2 5.Rd3 Fxd3 6.Tb1 etc. Les seules deux défenses envisageables sont 1...Ce5 (ou 1...Cb6) 2.Rc2 Cxc4 3.g4, 2...Cf6 3.e4 et 1...c5 2.b4 cxb4 3.c5, qui permettent toutes un nettoyage pas trop difficile.
A noter que la même combinaison est possible en menaçant un pion écran avec une pièce.
 

Les Blancs jouent et gagnent

Lorsque le nettoyage par la pièce canon est déjà en place (ici en l'occurrence le pion g4), on peut également attaquer la pièce canon avec une pièce. 1.Cb3! menace 2.Cc5 (2...Cxc5 3.a5 etc.), et donner le cavalier ne change rien: 1...Cc5 2.Cxc5 Fxg4 3.f3 Fxf3 4.Ce4 etc. Les Blancs gagnent également facilement après 1...Cf6 2.f4 Cxg4 3.e4 ou 1...a5 2.Cxa5 Txa5 3.Tb1 etc.

La pièce immobile

Le troisième type de point faible est constitué par une pièce immobile. On n'entend pas par là forcément une pièce qui ne dispose d'aucun coup, mais plutôt dont tous les coups possibles mènent à un nettoyage. La méthode la plus simple pour forcer cette pièce à jouer est de la menacer avec un pion, comme dans cet exemple :
 
Les Blancs jouent et gagnent

Après 1.a5! le Cb8 immobile n'échappe pas à la sortie en a6. Tous les pions blancs disparaissent après 1...Ca6 2.c5 Cxc5 3.a6 Cxa6 4.b4#, 1...c5 2.b4 cxb4 3.a6 Cxa6 4.c5# ou 1...d6 2.a6 Cxa6 3.b4 Cxb4 4.c5#.

L'autre manière de tirer profit d'une pièce immobile est d'attaquer une pièce ou un pion que cette pièce protège, comme dans l'exemple suivant. Bien sûr, comme toujours en attaquant une pièce adverse il faut faire attention à la possibilité d'un coup intermédiaire.
 

Les Blancs jouent et gagnent

1.Ca5! et le Fc8 immobile ne peut éviter la sortie fatale en b7, avec un nettoyage aisé pour les Blancs. Ne change rien 1...d5 2.Cxb7 Fxb7 3.c4, ni 1...Cc6 2.Cxb7 Fxb7 3.b4 etc.

Voici encore un exemple où les deux motifs précédents se combinent, la présence d'une pièce immobile permettant de créer une batterie.
 

Les Blancs jouent et gagnent

Une combinaison assez fréquente dans la pratique. Les Blancs attaquent la Th8 immobile par 1.Cg5!, après quoi la seule défense est de créer une batterie en utilisant le Cg8 pour masquer la tour. 1...Cf6 Ou 1...Ch6 2.Cxh7 Txh7 3.Rg4 etc., ou encore 1...h5 2.Rg4 etc. 2.Cxh7 Cxh7 3.Rg4! et la menace 4.Rg5 est imparable.